SSF Elel – Air Gear Lundi 28/04/2014

Voici le texte et le dessin de Elel sur Air Gear ! ^-^

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1398686772-dessin-air-gear.jpg - envoi d'image avec NoelShack

Air Gear

Elle ne peut plus s’empêcher de rire. Tout en elle demande à sortir, à aller avec et contre le vent qui lui fouette le visage avec plaisir. Les sons du fond de sa gorge, ses cheveux frisés brins coupés très courts, sa salopette noire qu’on lui a mis de force, le chapeau qui va avec, ses bottines usés en cuir. Tout est rebondi, gonflé à bloc. Tout ne demande qu’à exploser en plein air pour la propulser toujours plus loin dans l’infini bleu du ciel. Elle rit tellement qu’elle s’étouffe. L’euphorie est telle qu’elle ne parvient plus à respirer. Mais c’est idiot, elle ne peut pas s’arrêter de respirer. Plus jamais. Parce qu’elle découvre ce que c’est que de flotter dans le vent, avec le vent, de le transpercer. De se laisser submerger par une vague d’air violente et impeccable. De la laisser entrer pour ne plus jamais ressortir, tout gommer, tout rincer, tout effacer. Ses caprices, son chagrin, son immaturité, sa colère, son désir puéril de vengeance et sa mauvaise foi. Voilà. Maintenant, elle sait ce que l’on éprouve quand le corps survole la terre et entre dans le territoire céleste, quand l’apesanteur, pendant un instant, n’est plus qu’un souvenir qui s’efface. Quand l’on n’est plus porté que par l’invisibilité de l’air et de l’absolu.

Elle a beau essayer de se souvenir, elle ne se souvient pas quand elle a ri ainsi pour la dernière fois. Son esprit, non, son âme sont lavés du passé pour la plonger vers l’avenir. Elle cherche à comprendre, entre deux envolées, comment elle en est arrivée là, à un tel état d’aphasie et de non-plaisir de la vie, du haut de ses quatorze petites années. Elle remonte le temps encore et encore, pour savoir.

Plus loin que le moment où, pour la première fois, elle a entraperçu le « corbac » sur une photo. Plus loin que l’époque où ses ongles se cassaient et pleuraient des larmes pourpres sur son travail. Là. Ce jour, cette heure, cette minute, ces secondes. Ce moment précis où la voiture de ses parents a heurté à pleine vitesse un mur pour éviter un groupe de riders. Ce moment précis où le monde s’est arrêté de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre pour aller à rebours. Encore et toujours.

Depuis ce jour là, elle n’a fait qu’utiliser ses dons héréditaires en mécaniques pour exprimer son regret au monde entier. Elle avait saboté un nombre incalculable d’air treck en prétendant rendre service aux riders les plus démunis. Son égoïsme en avait mis des vies en danger ! Elle savait que ce n’était pas ce que ses parents auraient voulu. Elle savait qu’elle ne devait pas se servir de ses capacités de cette façon. Mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Chaque roue qui partait de travers, chaque vis qui sautait, chaque boulon qui rampait vers l’extérieur était pour elle comme ce moment purement jouissif de voir Icare punit pour son hubris. Elle se croyait être le soleil qui fait fondre la cire, ou encore cette même cire qui suit les lois de la nature et se laisse fondre doucement, lentement, suavement, goutte après goutte pour que le pauvre retrouve ses chaînes. C’était elle qui était en plein délit.

Le mot avait du passer, elle avait été retrouvée, encerclée, mise à l’épreuve et récupérée. Un gang entier l’avait prise entre quatre yeux pour tester ses aptitudes. Elle avait été chronométrée dans la confection de rollers, dans leur déconstruction, dans leur analyse. Finalement, et avec une expression d’ahurissement joyeux, une certaine Sumeragi avait déclaré que désormais, elle prenait cette « précision horlogère » sous son aile. Elle aurait refusé si on ne lui avait pas promis un foyer, un repas et de quoi s’occuper à volonté. Sans plus attendre, Sumeragi lui avait fait enfiler la salopette traditionnelle et personnalisée de multiples et larges fermetures pour ouvrir des poches biens cachés pleine d’outils, le chapeau assorti, les bottines, le sac à dos et toute une boite à outils portable. Puis on lui avait demandé où elle voulait le tatouage, l’emblème d’appartenance au gang. Sur le coup de l’admiration pour cette jeune femme passionnée aux cheveux longs et parfaitement ébouriffés, elle avait désigné le petit brin de peau dénudé dernière l’oreille, juste avant ses petites bouclettes.

– Tu sais, tout le monde m’appelle Kururu, pas la peine de m’appeler Madame Sumeragi…

– Humpf.

– Et toi, comment veux-tu que je t’appelle ?

– Ryugo.

– C’est un nom de garçon, fit-elle remarquer.

Elle avait fait la moue, pour ne pas lui cracher qu’elle n’en avait rien à faire que ce soit un nom de garçon et que ça puisse prêter à confusion.

– Hum… Pourquoi pas Reina ?

Elle avait haussé les épaules. De toute façon, ça ne changerait rien.

– Très bien ! Reina, bienvenue chez les sorcières. Bienvenue chez nous. Bienvenue chez les Tool Toul To !

De voir tous ses visages reconnaissants et enthousiastes d’avoir une nouvelle recrue à qui enseigner, elle n’avait pu que sourire un peu et les remercier.

Sans qu’elle s’en rende compte, elle avait été immédiatement plongée dans un monde nocturne, de bêtes sauvages, de hordes rivales et au milieu, elle, à servir les uns et les autres. Sans perdre ses vieilles habitudes, elle avait continué à trafiquer les accessoires de ses clients. Ils revenaient se plaindre, tout cabochés. Elle retenait difficilement son petit sourire contenté à chaque fois. Elle parvenait à œuvrer dans l’ombre de la nuit. Quand Kururu passait à côté d’elle, elle claquait systématiquement des doigts, remarquant qu’elle ne travaillait pas comme il fallait. La jeune femme avait trouvé dans cette enfant un diamant brut qu’elle ne parvenait pas à polir correctement. Un jour que la réputation du gang était sérieusement en danger, elle l’avait prise à part pour lui parler une bonne fois pour toute.

– Écoute Reina, je ne peux pas te laisser continuer comme ça. Tu ne me laisses plus le choix. Soit tu me dis pourquoi tu agis ainsi, soit je te mets hors-service. Tu as une agilité exceptionnelle, une oreille hors du commun et un calcul du temps sans faute, et ce avec plus de puissances que la moitié de tes consœurs… Alors pourquoi ne veux-tu pas nous aider ?

Elle n’avait rien répondu, déjà mal à l’aise que l’on vienne fouiller dans son intimité. Elle s’était contentée de la défier du regard. Sumeragi avait soupiré.

– Ne te braque pas ainsi, tu sais que j’ai raison. Ces deux derniers mois, tu as gâché les rendez-vous nocturnes des riders. Ce travail est très important pour la communauté, tu ne peux pas le ruiner comme ça.

Cette remarque l’avait blessée. Le ruiner ? Mais n’avaient-ils pas ruiné sa vie, eux ? Elle explosa.

– Je les hais ! Tous, tous, tous ! Ils m’ont tout pris. Ils ont la prétention de voler comme des oiseaux, de se faire pousser des ailes. Et bien moi, je leur montre comme elles sont fragiles leurs ailes, comme elles sont friables.

– Si tu parles de ce qui est arrivé à tes parents, tu ne devrais pas…

– Taisez-vous ! Vous ne savez rien de mes parents ! Vous savez, il n’y a plus de magie dans mon monde depuis bien longtemps. Pour moi, ce n’est plus l’ère des sorcières !

Elle s’était essuyé les yeux du revers de la manche d’un geste vif et lui avait tourné le dos d’un pas rageur. Pendant une seconde, elle s’était arrêtée devant la photo d’un petit corbeau, prise sur le vif, et s’était retenue de la déchirer en deux.

– Lui aussi, je le déteste. Il aurait dû détruire les air trecks quand il en avait l’occasion. Il aurait dû mettre fin à toute cette folie quand il en avait la possibilité. Il n’a pas sauvé le monde, il l’a condamné !

Sans dire un mot de plus, elle avait redressé son sac sur son épaule et était partie en courant. Vers je-ne-sais-où du moment que c’était loin. Elle n’avait pas entendu Kururu se racler la gorge et la désigner à quelqu’un caché dans un recoin. « Tu as entendu… Je compte sur toi, Roi du Ciel. Merci. »

Elle s’était éloignée en courant le plus rapidement possible. Sans se changer, sans vider son sac de tous ses ustensiles, ses yeux de toutes les larmes qui débordaient presque. Aussi vite qu’elle ait pu courir, il l’avait rattrapée en moins de deux, en riant comme le Diable. D’un trick trop rapide pour qu’elle le comprenne, il l’avait attrapée et jeté sur son dos large. Et il l’avait portée, toujours plus haut, vers le sommet. Le sommet du bâtiment, de la ville, du monde. Vers le soleil.

– Alors petit, on a peur du Diable ? On a peur de voler ?

– Lâchez-moi !

– Tu es sûr ?

– …. Et puis je suis une fille !

– Ah bon ?

Il avait rapidement jeté un coup d’œil dans sa direction, l’air dubitatif.

– Mouais, dans quelques années à la rigueur… !

– Qu’est-ce que… !

Il avait explosé d’un rire faussement démoniaque, d’une voix grave et masculine. Elle ferma les yeux vivement, ne voulant pas regarder en bas. Oui, elle le sentait, ce bras traître qui sans cesse la ramènerait au sol, vers la réalité, vers un monde complètement désenchanté.

Concentré sur ses gestes, il ne tourna pas la tête vers elle, mais parla suffisamment fort pour qu’elle l’entende, pour que ses mots résonnent au plus profond d’elle.

– Ouvre les yeux bon sang ! Observe ! Tu ne vois donc pas comme le monde est beau ? Comme le ciel est vaste ? Assez vaste pour t’engloutir, pour t’écraser ! Il ne s’agit pas de le maîtriser, mais d’en faire un partenaire ! Écoute petit : Tu trouves le monde désenchanté ? Soit ! Reste donc enfermé dans ta petite cage étroite. Mais vois-tu, ce n’est pas ça vivre. Vivre, c’est être libre ! Et pour être libre, il faut mettre la main à la pâte ! Il faut la fabriquer sa liberté, il faut la fabriquer cette clé qui ouvrira les barreaux de ta prison ! Tu as tous les outils, tu as même la grâce de la Croix sur tes petites mains ! Alors qu’est-ce qui te retiens ? Je te le dis : ouvre les yeux et regarde ! Regarde donc ce monde qu’il ne tient qu’à toi d’enjoliver, de rendre…comment dire…. Magique ? Aller petit ! Ouvre les yeux sur une liberté qui n’attend que toi !

Alors oui, elle avait ouvert les yeux à ce moment là. Et l’avait vu, le trajet vers une liberté, entre Ciel et Terre. Une liberté à bout de doigts, suspendue dans un instant sans fin, hors de toute délimitation et de toute considération. Son moment à elle, celui où l’horloge de sa vie se remit à sonner le gong dans l’ordre des choses.

Elle ne pouvait plus s’arrêter de pleurer. Allez savoir pourquoi, elle ne pouvait plus s’en empêcher. Peut-être parce qu’ils étaient en pleine chute et que l’air battait son front sans retenue, qu’elle voyait le sol se rapprocher de plus en plus, qu’elle se sentait soulevée de ces épaules si réconfortantes. Il donna un coup de hanche, vira sur la droite, s’enroula le long d’un tube et se redressa, à nouveau face à l’immensité du vide. Il maîtrisait la chute comme il maîtrisait cet environnement plus si hostile que ça. Au contraire.

– Tu vois petit. Tu le ressens, ce chemin qui t’accueille à bras ouverts ? Alors dis moi, veux-tu encore priver les autres de cette opportunité ? Veux-tu encore les empêcher de l’apercevoir et de la serrer contre eux comme toi en ce moment ?… Je ne crois pas non !

– Je suis une fille, je te dis ! Espèce de Corbac !

– Hé !

Il sourit. Elle se mit à rire, à gorge déployée, sans retenue. Toute idiote qu’elle était, elle ne pouvait plus s’arrêter.



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